Lire au préalable :

Q1a - Quels sont les arguments techniques en faveur, ou en défaveur, du mono-recyclage actuellement pratiqué en France du point de vue de la gestion des matières et déchets radioactifs ?

Résumé -- Les arguments en faveur et en défaveur du monorecyclage portent sur les critères suivants : économie de ressources, types de matières et déchets produits, radiotoxicité et danger de ces produits, volume et emprise pour l’entreposage et le stockage, sûreté et transport, gestion du plutonium, coût et enfin débouchés. Pour chaque critère, les appréciations ne diffèrent que peu entre experts. Il n’y a en revanche pas de consensus sur le choix des critères les plus pertinents à retenir, et la manière d’évaluer le bénéfice global apporté par le monorecyclage fait encore débat.

Introduction

Pour évaluer les mérites du monorecyclage actuel, il faut le comparer à une stratégie de cycle ouvert équivalente du point de vue de la production d’électricité. Il faut ensuite définir une liste d’indicateurs permettant de comparer les deux situations et enfin, si possible, définir l’importance relative de ces indicateurs et la manière de les utiliser pour prendre une décision.

Aujourd’hui, les données sur les inventaires de matières et de déchets dans chaque scénario sont consensuelles et présentées notamment dans le rapport du HCTISN[1]. En revanche, il n'y a pas de consensus sur le choix des indicateurs pertinents. On peut néanmoins mentionner des critères qui reviennent régulièrement.

Recyclage et économie de ressources

Recycler le combustible usé permet de réutiliser une partie des matières qu’il contient. L’utilisation de ces matières permet d’économiser de l’uranium naturel.

 

Ressources naturelles économisées

MOx (réutilisation du plutonium)

10 %

MOx (réutilisation du plutonium) + URE (réutilisation de l’uranium[2])

18 à 25 %

Cet indicateur d’économie de ressources est simple à définir et les valeurs retenues consensuelles. Le pourcentage de matières effectivement « réutilisées » est en revanche plus ambigu, car il dépend de ce que l’on entend par la réutilisation (jusqu’à 95 % si l’on considère l’utilisation des matières à une étape de la production de combustible recyclée, ou seulement 1 % si l’on considère les matières effectivement réutilisées en France sous forme de MOx).

Type de matières et déchets produits

Le monorecyclage modifie profondément le type de matières et de déchets ultimes produits. Sans recyclage, on a un unique déchet : le combustible usé. Avec le monorecyclage, on obtient une pluralité de matières réutilisables (le plutonium et l’URT) ou potentiellement réutilisables (comme les MOx et URE usés) et des déchets dits ultimes.

Après séparation, les actinides mineurs et produits de fission sont vitrifiés dans des conteneurs d’acier. Les gaines et embouts métalliques entourant le combustible sont eux compactés. Les colis de déchets vitrifiés et compactés constituent les déchets ultimes du monorecyclage. Le conditionnement dans une matrice de verre permet un excellent confinement des déchets, une manutention plus aisée et une réduction de volume dont l’ampleur est débattue.

Ces opérations de séparation puis vitrification ou compactage génèrent peu de déchets secondaires, mais elles s’accompagnent de la production d’autres matières : de l’uranium de retraitement URT (réutilisable avec l’URE), du plutonium (réutilisé avec le MOx) mais aussi, en bout de chaîne, du MOx usé. Ce dernier doit être entreposé sans valorisation immédiate possible, en l’absence aujourd’hui de multirecyclage. On passe donc d’un unique déchet (le combustible usé) à une pluralité de déchets et de matières, une partie de ces dernières étant sans usage actuellement. L’avantage est que chaque substance peut être traitée de la manière la plus adaptée à ses caractéristiques mais l’inconvénient est que l’ensemble de la gestion est complexifié, avec des entreposages différents pour chaque substance, et une valorisation seulement potentielle pour l’URE et le MOx usés.

Radiotoxicité des matières et déchets

La radiotoxicité est l’un des indicateurs utilisés pour exprimer la dangerosité pour la santé d’une substance radioactive. Elle a l’avantage d’être simple à mesurer mais a l’inconvénient de ne pas prendre en compte la capacité d’une substance à migrer dans l’environnement, capacité qui contribue à la probabilité que l’on y soit ultimement exposé et donc au risque réel associé, notamment dans le cas d’un stockage définitif. Une substance peut être très radiotoxique, mais peu mobile, et ainsi finalement moins dangereuse une fois stockée qu’une substance moins radiotoxique mais plus mobile. Malgré cette réserve et cette nécessité de la compléter, la radioactivité est un indicateur régulièrement utilisé.

Le plutonium étant un contributeur majeur de la radioactivité du combustible usé, surtout à long terme, l’extraire des déchets ultimes permet de substantiellement réduire leur radiotoxicité de long terme.

La radiotoxicité par unité de masse[4] des matières à entreposer est augmentée. Le MOx est plus radioactif que le combustible à l’uranium naturel enrichi standard (UNE), ce qui demande à l’électricien une gestion dédiée. Une fois usé, le MOx possède aussi une radiotoxicité supérieure à celle d’un combustible UNE usé : environ 2 fois plus si l’on regarde la radiotoxicité pour les premières dizaines d’années, et environ 8 fois plus à très long terme. Le combustible MOx usé est enfin plus chaud, ce qui induit des contraintes pour son entreposage, son recyclage ou éventuellement son stockage futur.

Dans la perspective d’un stockage géologique profond, l’impact de ces différences de radiotoxicité est faible car elles concernent dans les deux cas (actinides mineurs et plutonium) des éléments certes très radiotoxiques mais peu mobiles comparativement aux produits de fission.

Volume de déchets et emprise pour l’entreposage et le stockage

Stockage

L’ampleur de la réduction de volume de déchets à haute et moyenne activité permise par le monorecyclage du plutonium est débattue et dépend des hypothèses. Selon les producteurs :

  • si l’on considère que les seuls déchets ultimes du monorecyclage sont les déchets vitrifiés et compactés, et que le MOx usé sera un jour lui-même recyclé, la réduction de volume induite par le monorecyclage atteint un facteur 5 ;
  • si l’on considère que le MOx usé ne sera pas recyclé, et donc qu’il faudra le stocker comme un déchet, la réduction de volume est d’un facteur 3,6.

Ces chiffres sont contestés par Global Chance, pour qui la réduction de volume n’atteint qu’un facteur 1,16 sur les déchets nus et environ 1,9 une fois pris en compte les surconteneurs nécessaires à un éventuel stockage géologique. Les différences d’hypothèses qui mènent à ces résultats différents n’ont pas pu être élucidées par l’exercice de clarification des controverses.

 
L’uranium de retraitement, même s’il n’est pas un déchet de haute activité, est lui aussi à entreposer en l’attente de valorisation.
 

Schéma monorecyclage

Le volume des déchets dans leur conteneur final n’est pas la seule donnée à prendre en compte, l’emprise au sol d’un déchet donné lors de son stockage définitif en est une autre. En effet, le MOx usé, entre autres parce qu’il reste plus chaud plus longtemps que le combustible UNE usé, prendrait plus de place dans un stockage définitif comme Cigéo pour respecter une température limite garantissant les propriétés de la roche. Toutes choses égales par ailleurs, les études menées jusqu’à présent par l’Andra montrent que des gestions de combustible avec retraitement conduisent à une emprise globale du stockage géologique plus petite que celle d’un stockage éventuel de combustibles usés, mais les valeurs exactes de réduction d’emprise restent aujourd’hui à déterminer.

Entreposage

Avant son traitement ou son éventuel stockage, le combustible usé est actuellement entreposé en piscine, dans les centrales puis à La Hague (environ 1 200 tonnes par an). Le monorecyclage permet de sortir le combustible UNE usé de ces piscines (environ 1 100 tonnes par an) après quelques années pour le traiter, et de n’y laisser que les MOx et URE usés (100 tonnes par an). Le monorecyclage permet donc une réduction substantielle des besoins d’entreposage de combustible usé, d’un facteur 10 aujourd’hui.

Sûreté et rejets

La question de l’impact sur la sûreté du monorecyclage et de l’utilisation du combustible MOx est débattue. Si les tech-nologies mises en œuvre sont éprouvées, l’utilisation du MOx demande des précautions particulières, ne serait-ce que parce qu’il est plus radioactif et plus chaud qu’un combustible UNE standard. Plus généralement, le monorecyclage demande de manipuler davantage les matières radioactives qu’un cycle ouvert où l’on ne touche pas au combustible usé. En cas d’accident grave, la concentration plus élevée en plutonium des MOx augmente les risques liés à la réac-tivité des assemblages combustible.

Le bilan du monorecyclage en termes de rejets est débattu. Les rejets d’effluents liquides et gazeux générés par le monorecyclage sont plus importants que ceux qui résulteraient d’un stockage direct, notamment au niveau de l’usine de retraitement des combustibles de La Hague, même s’ils restent selon Orano faibles au regard de la radioactivité naturelle observée dans l’environnement (moins de 1 %). Cependant, le monorecyclage permet de réduire la quantité d’uranium naturel nécessaire pour produire une quantité d’électricité donnée et ainsi de réduire les rejets radioactifs liés au minage de l’uranium.

Gestion du plutonium

Le monorecyclage nécessite de séparer le plutonium du combustible usé avant de l’incorporer à de l’uranium appauvri pour faire du MOx. En raison de l’augmentation du recyclage en France, le stock de plutonium séparé français a augmenté entre 1995 et 2015 pour les besoins de la fabrication du MOx.

Tout le plutonium présent dans le MOx n’est pas consommé et la réduction de la quantité totale de plutonium (séparé ou non) avec le monorecyclage est de l’ordre de 25 %. Cependant, il faut noter que le monorecyclage réduit la qualité du plutonium (mesurée par sa concentration en isotope 239 fissile), ce qui rend plus difficile son utilisation militaire. Le revers de cette dégradation isotopique est la difficulté d’un recyclage récurrent du plutonium dans les réacteurs actuels, les isotopes non fissiles s’accumulant.

Coût

Le coût global du monorecyclage est débattu. Le rapport Charpin-Pellat-Dessus de 2000 estime qu’utiliser du MOx coûte 7 % plus cher à l’échelle du parc que l’alternative consistant à utiliser exclusivement du combustible à l’uranium naturel enrichi. Ces conclusions sont contestées par Orano, pour qui la prise en compte de la réduction des coûts de stockage et d’entreposage rend l’opération économiquement intéressante. Un rapport de la Cour des comptes est attendu sur ce sujet.

Filières de recyclage

Le MOx n’est aujourd’hui utilisable en France que dans les réacteurs de 900 MW dont une partie devrait être arrêtée d’ici 2035, selon la Programmation pluriannuelle de l’énergie. Les quantités de plutonium pouvant être recyclées vont ainsi diminuer si d’autres réacteurs ne sont pas à l’avenir autorisés à l’utiliser. Les études sont en cours pour que les réacteurs de 1 300 MW puissent utiliser le MOx.

Par ailleurs 4 réacteurs 900 MW sont actuellement en mesure d’utiliser de l’URE et des travaux sont en cours pour rendre possible le recyclage de l’URE dans les réacteurs 1 300 MW.

Pour les exploitants, le monorecyclage présente l’avantage de laisser ouvertes les options futures de multirecyclage, en gardant les matières utiles accessibles et en maintenant l’infrastructure industrielle. Le monorecyclage est alors vu comme une première étape technologique vers le multirecyclage en réacteur à neutrons rapides. Cette conclusion est contestée par Global Chance, pour qui l’entreposage en l’état des combustibles usés non retraités permet aisément de garder les matières disponibles.

Conclusion sur la méthode

Monorecyclage et cycle ouvert peuvent être comparés à l’aide de nombreux indicateurs. Certains sont à compléter, comme le volume des déchets auquel il faudrait ajouter la prise en compte de leur emprise lors d’un stockage, ou la radiotoxicité, qu’il faudrait compléter en prenant en compte la mobilité des radionucléides qu’ils contiennent et la difficulté à les confiner dans l’hypothèse d’un stockage géologique. D’autres sont à quantifier plus précisément, comme l’intérêt d’avoir des déchets vitrifiés plus stables ou la complexification liée à une variété plus importante de matières et déchets à gérer. Un travail complémentaire reste donc nécessaire pour définir une grille d’indicateurs de comparaison consensuelle et complète.

[1] HCTISN, rapport « Présentation du cycle du combustible français en 2018 »

[2] dans le cas où l'uranium de retraitement (URT) est réenrichi en URE et réutilisé comme combustible

[3] Pour la comparaison, il faut garder à l'esprit que le monorecyclage ne produit qu'un MOx usé environ pour 10 assemblages UNE usés retraités.

 

Cette synthèse résume les réponses aux questions suivantes :

Q1b - « Quels seraient les arguments techniques en faveur, ou en défaveur d'un éventuel multirecyclage futur, et les conditions de sa faisabilité, du point de vue de la gestion des matières et déchets radioactifs ? »

Q2a - « Les réacteurs à neutrons rapides (RNR) à caloporteur sodium sont-ils la seule voie pour multirecycler le plutonium et sous quelles conditions ? »

Q2b - « D'un point de vue purement technique, et dans l'hypothèse où l'État le souhaiterait, des RNR industriels, inspirés éventuellement du démonstrateur ASTRID, pourraient-ils être déployés dans les prochaines décennies avec un niveau de sûreté équivalent ou supérieur à celui des réacteurs de 3e génération (EPR) ? » 

Résumé – Il existe deux types de multirecyclages envisageables, avec les réacteurs à eau pressurisée ou avec une nouvelle génération de réacteurs à neutrons rapides. Le premier type permet des économies de ressources et une réduction de la quantité de plutonium produit, mais conduit en contrepartie à une augmentation de la quantité d’actinides mineurs. Le second permet une autonomie complète vis-à-vis des ressources naturelles, ainsi qu’une réduction lente du stock de plutonium. Une contrepartie est un nombre plus important de manipulations de matières radioactives dans les installations du cycle. Ce second type de multirecyclage nécessite aussi de nouveaux réacteurs : les débats sur ces réacteurs à neutrons rapides ne portent pas sur leur faisabilité (il en existe dans d’autres pays) mais sur leur délai de développement industriel, leur complexité qui en augmente le coût, et leur opportunité économique, alors qu’un prix bas de l’uranium réduit l’intérêt des économies de matière première.

Introduction

Le monorecyclage actuel conduit à produire en bout de chaîne un nouveau type de combustible usé (par exemple le MOx usé dans le cas du recyclage du plutonium) qui n’est pas lui-même actuellement recyclé, même s’il est considéré comme une matière potentiellement valorisable. L’intérêt du monorecyclage dépend en partie du devenir possible du MOx usé après ce premier recyclage : stockage définitif en l’état ou nouveau recyclage ultérieur.

Multirecyclage en réacteurs à eau légère ou en réacteurs à neutrons rapides

Une option est de recycler le MOx usé dans les réacteurs actuels. Comme on recycle le combustible UNE usé, en en extrayant le plutonium, puis en incorporant ce dernier à de l’uranium appauvri, on peut imaginer faire de même pour le MOx. La difficulté, on l’a vu, est que le plutonium voit sa qualité se dégrader : à mesure qu’il capture des neutrons, il se concentre en isotopes non fissiles et sa teneur en isotope fissile 239 diminue. Le plutonium contenu dans le MOx usé n’est ainsi pas de qualité suffisante pour être réutilisé dans les réacteurs français actuels (réacteurs à eaux légères, REL) directement. Une possibilité, parmi d’autres actuellement explorées, est de mélanger ce plutonium de faible qualité à de l’uranium enrichi (au lieu de l’uranium appauvri utilisé pour le MOx). Le retraitement du combustible MOx a été expérimenté par Orano sur 70 tonnes de combustible MOx usé, et le plutonium extrait a été recyclé dans des réacteurs allemands. En revanche, la faisabilité à grande échelle d’un tel multirecyclage n’est pas encore démontrée.

Une deuxième option (qui est en fait historiquement la première) est d’utiliser un autre type de réacteur, les réacteurs à neutrons rapides. Ces derniers, moins exigeants sur la qualité du plutonium et de l’uranium, permettent un recyclage récurrent sans ajout d’uranium enrichi.

Économie de ressources

Le multirecyclage permet en principe une économie en ressources dont l’ampleur dépend fortement du type de multirecyclage considéré.

Pour le multirecyclage dans les réacteurs actuels, l’économie de ressources naturelles resterait modérée à cause du besoin d’ajout d’uranium enrichi, et elle atteindrait au maximum +10 % par rapport au monorecyclage actuel.

Pour le multirecyclage en réacteur à neutrons rapides, la situation serait différente. Un tel réacteur consomme un mélange de plutonium et d’uranium appauvri semblable au MOx. Il peut être réglé pour produire autant de plutonium qu’il en consomme par transmutation de l’uranium 238[1] contenu dans l’uranium appauvri. Ainsi, un parc constitué d’une fraction suffisante de réacteurs à neutrons rapides pourrait en principe fonctionner uniquement avec le plutonium et l’uranium issus du recyclage (URT) et de l’enrichissement (uranium appauvri), consommant in fine l’intégralité de l’uranium naturel (et pas uniquement les 0,7 % d’uranium 235 fissile qu’il contient). Les réacteurs à neutrons rapides permettraient de se passer entièrement de nouvelles ressources naturelles et ainsi de supprimer l’amont du cycle (minage de l’uranium naturel, transformation, enrichissement), du moins tant qu’il resterait des stocks d’uranium appauvri (ce dernier n’étant réduit que d’un dix millième par an).

Types de matières et déchets produits

Le multirecyclage dans les réacteurs actuels permettrait (par rapport au monorecyclage) une réduction de la quantité totale de plutonium et une diminution de la quantité de combustible usé entreposé, mais entraînerait une augmentation substantielle de la quantité d’actinides mineurs (+30 % par rapport au monorecyclage actuel) qui augmenterait mécaniquement la quantité de colis de déchets vitrifiés produits, du moins sur la base des spécifications actuelles.

Le multirecyclage dans des réacteurs à neutrons rapides permettrait une réduction du stock total de plutonium et d’actinides mineurs (en comparaison avec le monorecyclage et en absolu). Pour les actinides mineurs, l’ampleur de la réduction possible est cependant débattue et dépend de la mise en œuvre de leur transmutation. À cet égard, les gains associés, en termes de sûreté, de radioprotection et de gestion des déchets, n’apparaissent pas de manière évidente décisifs en regard des contraintes induites sur les installations du cycle du combustible, notamment si les quantités de plutonium et d’actinides mineurs accumulées dans les installations du cycle sont prises en compte.

La quantité de produits de fission générés serait inférieure à celle du cycle ouvert ou du monorecyclage.

Les déchets de haute activité ultimement produits sont dans les deux cas des colis de déchets vitrifiés, avec une réduction progressive de la quantité totale de combustible usé, ce dernier étant retraité.

Évolution des inventaires de matières pour le multirecyclage en réacteur à neutrons rapides

La classification de certaines substances comme le plutonium ou l’uranium appauvri en matières (et non en déchets) repose sur leur possibilité de réutilisation future. Il est donc important de savoir quel impact aurait le multirecyclage sur l’évolution de leur inventaire. On se concentre ici sur le multirecyclage en réacteur à neutrons rapides.

En s’appuyant sur le rapport Charpin-Pellat-Dessus, on peut estimer l’évolution du stock de matières et déchets dans l’hypothèse où des réacteurs à neutrons rapides seraient introduits dans le parc à l’horizon 2040[2] et où l’on regarderait la situation résultante soixante-dix ans plus tard. On obtient les données suivantes :

 

Plutonium et actinides mineurs

Produits de fission

MOx usé

UNE usé

2040

500 t

2800 t

5800 t

5000 t

2110

420 t

4500 t

1000 t

5000 t

À ces matières s’ajoute un stock d’uranium appauvri dont on ne consommerait[3] qu'1 % tous les 100 ans. Ces chiffres reposent sur des hypothèses datant de 2000, qui sont débattues, en particulier sur la capacité de ces réacteurs à transmuter les actinides mineurs, mais la controverse se situe principalement sur l’interprétation à leur donner.

On note en effet que la réduction de la quantité de matières radioactives, même soixante-dix ans après l’introduction de réacteurs à neutrons rapides, reste modeste, notamment pour le plutonium et les actinides mineurs. Le multirecyclage ne ferait pas disparaître les matières radioactives, il stabiliserait d’abord leur quantité puis les ferait seulement décroître très lentement.

Néanmoins, pendant ces soixante-dix ans, 350 TWh d’électricité par an auraient été produits, le tout en diminuant la quantité de matières radioactives entreposées. Sans multirecyclage, ces quantités auraient continué à augmenter linéairement.

Les conséquences sur le cycle du combustible et le stockage définitif de cette diminution de l’inventaire des matières doivent être approfondies.

Opérations sur le plutonium et transport de matières

Le multirecyclage nécessiterait un nombre plus important d’opérations sur du combustible contenant plus de plutonium et dont l’activité neutronique est plus élevée. Réaliser ces opérations est ainsi plus difficile et nécessiterait notamment une amélioration de l’automatisation des usines de retraitement.

Le volume de combustible usé transporté à travers la France n’augmenterait pas avec le multirecyclage, sous réserve d’une optimisation de la logistique et de la localisation des réacteurs permettant le multirecyclage, mais ce combustible usé étant plus chargé en plutonium, le flux de plutonium augmenterait d’un facteur 9.

Faisabilité et sûreté

Il semble aujourd’hui que seule la technologie des réacteurs à neutrons rapides à caloporteur sodium soit suffisamment mature pour permettre le multirecyclage en principe intégral du plutonium à un horizon raisonnable. D’un point de vue purement technique, la faisabilité de ces réacteurs n’est pas contestée, et des modèles de ce type fonctionnent actuellement en Russie, même si le recyclage complet du plutonium n’a pas été démontré.

La question de la sûreté de ces réacteurs est plus débattue et on mentionne ici quelques-uns des arguments discutés.

Dans un réacteur à eau légère, la chaleur des assemblages de combustible est extraite par de l’eau pressurisée, qui ralentit les neutrons de la réaction de fission (ce qui est recherché). L’utilisation de sodium liquide à la place de l’eau permet de ne pas ralentir les neutrons, ce qui, pour simplifier, les rend peu regardants sur la qualité du plutonium.

Cette différence de conception présente des avantages et des inconvénients et est au cœur des questions liées à la sûreté. Le sodium est en effet un composé chimiquement très réactif, qui peut s’enflammer au contact de l’air et exploser au contact de l’eau, ce qui peut conduire à des incidents plus ou moins graves en cas de fuite. Il y a eu par le passé deux incidents de ce type en Russie et au Japon, qui n’ont cependant eu d’impact que sur la disponibilité du réacteur et pas sur sa sûreté. L’opacité du sodium rend aussi plus difficile l’inspection en temps réel du cœur. En contrepartie, le sodium a l’avantage d’avoir une très forte inertie thermique rendant le réacteur robuste à une perte de refroidissement temporaire, d’être utilisé à basse pression, et d’être loin de son point d’ébullition en fonctionnement normal.

Les réacteurs à neutrons rapides présentent un risque dit de compaction du cœur qui leur est propre, pouvant conduire à une augmentation soudaine de réactivité. Ce risque est pris en compte à la conception, et contré par trois lignes de défenses indépendantes.

L’objectif annoncé du programme ASTRID conduit par le CEA est d’amener la sûreté des réacteurs à neutrons rapides au moins au niveau de sûreté des réacteurs à eau pressurisée qui leur seraient contemporains, afin qu’ils puissent potentiellement constituer la nouvelle génération de réacteurs dite « Gen-IV »

Coût et horizon

De par leur conception plus complexe, pour répondre notamment aux exigences de sûreté, les réacteurs à neutrons rapides auraient un coût plus élevé que les réacteurs actuels. Ce point ne fait pas débat.

L’argument économique est ainsi un facteur important dans l’éloignement de l’horizon d’une éventuelle introduction de réacteurs à neutrons rapides. En effet, l’économie de ressources primaires ne justifie le surcoût de ces réacteurs que si l’uranium naturel vient à manquer et que son prix est élevé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui (même si la situation peut changer). Une réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial ainsi que ces contraintes économiques font que le déploiement de réacteurs à neutrons rapides n’est plus envisagé avant la deuxième moitié du XXIe siècle.

 

[1] isotope non fissile, représentant 99.3% de l'uranium naturel et plus de 99.7% de l'uranium appauvri

[2] voir le rapport [CPD] pour les hypothèses précises considérées

[3] Il existe d'autres débouchés pour l'uranium appauvri, voir le rapport cycle 2018 du HTCISN

Q4 – D'un point de vue purement technique, le démantèlement de réacteurs arrêtés dans certains cas depuis plus d'une décennie peut-il attendre, et si oui avec quelles mesures de sûreté ?

Résumé – Les réacteurs à uranium naturel graphite gaz (UNGG) sont en cours de démantèlement par EDF. Le changement de technique de démantèlement du caisson réacteur, qui concentre la radioactivité restante, a conduit EDF à proposer une modification du calendrier de démantèlement. Si la légitimité du changement de technique n’est pas discutée, le décalage du démantèlement induit soulève des questions de sûreté. EDF assure que la mise en configuration sécurisée des caissons les rendra robustes aux aléas extérieurs pour toute la durée du démantèlement (plusieurs décennies), mais l’IRSN note que ceci doit faire l’objet d’analyses complémentaires. Une expertise s’appuyant sur les éléments nouveaux fournis par EDF est en cours.

Introduction

Les réacteurs à uranium naturel graphite gaz (UNGG), construits dans les années 1960, aujourd’hui tous à l’arrêt et en cours de démantèlement, sont les premiers réacteurs nucléaires électrogènes français.

La difficulté du démantèlement des réacteurs UNGG, plus particulièrement du caisson de ces réacteurs, est reconnue. Les réacteurs UNGG se distinguent de ce point de vue de leurs successeurs, les réacteurs à eau pressurisée (REP). Ces derniers constituent l’intégralité du parc nucléaire français en fonctionnement, et leur démantèlement apparaît aujourd’hui faisable dans des délais maîtrisés et avec des techniques éprouvées. Par exemple, le démantèlement du réacteur à eau sous pression Chooz A d’EDF, situé dans les Ardennes, avance sans difficulté majeure. À l’inverse, il y a peu de retours d’expérience sur les réacteurs UNGG et le démantèlement des empilements de graphite qu’ils contiennent présente des difficultés techniques.

Le démantèlement des réacteurs UNGG hors caisson a commencé et se poursuivra sur les quinze prochaines années. À l’issue de ces travaux, tout aura été déconstruit à part le caisson réacteur contenant les empilements de graphite. Si les réacteurs sont vidés de leur combustible il reste malgré tout des radionucléides dans les structures et dans les empilements de graphites qui ont été activés par la réaction de fission.

Stratégie d’EDF

Pour le démantèlement du caisson réacteur, EDF avait initialement envisagé une stratégie de démantèlement consistant à le remplir d’eau. Devant les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de cette première stratégie, EDF envisage maintenant un démantèlement sous air.

Le calendrier de démantèlement a été profondément modifié à l’occasion de ce changement de stratégie. En effet, EDF prévoit de démanteler un premier réacteur (Chinon A2) à partir de 2030 et pour une durée de trente ans, puis de démanteler les suivants en exploitant les retours d’expérience du premier démantèlement. Ainsi, le démantèlement de ces caissons réacteurs aura lieu près d’un siècle après leur mise en service.

Le choix d’EDF de proposer finalement un démantèlement sous air pour tous ses réacteurs UNGG n’est pas mis en cause. Mais la stratégie globale retenue, notamment le séquencement des démantèlements et les calendriers associés, soulève des questions de sûreté qui sont en cours d’analyse. Pour l’IRSN, le maintien dans un état sûr d’un caisson réacteur sur d’aussi longues périodes soulève de réels enjeux techniques. De plus, il convient d’examiner les implications de cette nouvelle stratégie sur la gestion des déchets de graphite.

Sûreté des réacteurs UNGG à l’arrêt

À l’issue de la première phase de démantèlement, les caissons réacteurs doivent être mis dans une configuration sécurisée.

EDF assure que l’étanchéité des caissons est garantie en cas d’inondation, que le bon état des structures et leur résistance aux séismes sont validés par des inspections et que des activités de surveillance sont réalisées et seront maintenues jusqu’à la fin du démantèlement.

L’IRSN considère que les premiers éléments apportés par EDF ne lui permettent pas de partager pour le moment ces conclusions. En particulier, l’IRSN note que les examens de sûreté sur lesquels s’appuie EDF ont été réalisés avec l’hypothèse d’un démantèlement à moyen terme, issu de l’ancienne stratégie, et donc sont à ce stade insuffisants pour conclure. De nouveaux éléments ont été fournis par EDF, à la suite d’une demande de l’ASN. L’ensemble des éléments transmis par EDF est aujourd’hui soumis à une expertise de l’IRSN qui s’achèvera en 2019.

Q3a - « Compte tenu de la puissance installée actuelle des réacteurs, et de la production actuelle de combustible usé, une nouvelle solution d'entreposage est-elle nécessaire et à quelle échéance ? »

Q3b - « Quels sont les mérites intrinsèques des différentes formes d'entreposage du combustible usé (à sec ou en piscine, centralisé ou sur site) ? »

Q3c - « En admettant qu'un nouvel entreposage soit nécessaire, quelle forme d'entreposage (à sec ou en piscine, centralisé ou sur site) est-elle la plus adaptée à la situation française ? »

Résumé – Quelle que soit la manière dont il est ultimement géré, le combustible usé doit être entreposé plusieurs années, le temps que sa chaleur dégagée diminue. Chaque année, du combustible usé entre et sort des piscines des centrales d’EDF et de La Hague, mais la quantité nette entreposée augmente. Il y a consensus sur le fait qu’en l’absence de nouvelles capacités d’entreposage, une saturation de ces piscines aura lieu à l’horizon 2030, même si la date précise dépend des choix de politique énergétique. De nouvelles capacités d’entreposage sont donc nécessaires. Deux technologies sont possibles pour l’entreposage, sous eau ou à sec. Ces technologies peuvent être mises en œuvre sur le site de chaque centrale ou de manière centralisée. Les deux technologies d’entreposage ont des mérites et sont utilisées à travers le monde. Le combustible MOx usé actuellement issu du monorecyclage est trop chaud pour les technologies d’entreposage à sec actuelles, et ne peut donc être entreposé qu’en piscine, en tout cas les premières années après avoir été déchargé des réacteurs. L’entreposage à sec pourrait néanmoins être envisageable avec de nouvelles technologies ou des évolutions des concepts disponibles ou, en complément de piscines, pour l’entreposage de MOx usés anciens et déjà refroidis.

Introduction

Lorsqu’il est sorti du cœur du réacteur, le combustible usé reste chauffé par sa propre radioactivité. Il doit donc être refroidi dans un premier temps dans les piscines dites “BK” attenantes au réacteur, pendant une période de un à quatre ans, durant laquelle sa radioactivité et sa puissance thermique décroissent. Une fois que la puissance thermique qu’il dégage est suffisamment basse, le combustible usé est transporté à La Hague, où il continue à refroidir en piscine en attente de traitement. Une partie est effectivement retraitée et une autre, comme le MOx et l’URE usés, reste aujourd’hui dans les piscines.

Cette étape d’entreposage du combustible usé est nécessaire quoi que l’on en fasse ultimement (retraitement ou pas, stockage ultime ou pas). La quantité de combustible usé dans les piscines “BK” attenantes au réacteur doit rester stable par rapport à la situation actuelle (ou diminuer) pour des raisons de sûreté (la cuve du réacteur devant pouvoir être déchargée à tout moment). La quantité de combustible usé entreposé dans les piscines de La Hague augmente donc mécaniquement (notamment du fait des MOx usés non retraités) en l’absence de capacités d’entreposage supplémentaires.

Besoin d’entreposages

La saturation des capacités d'entreposage à l'horizon 2030 en l'absence de nouvelle solution d'entreposage fait consensus.

On reproduit ici les grandes lignes de l'analyse. Chaque année, 1200 t de combustible usé sortent des réacteurs, 1100 t sont retraitées, la quantité de combustible usé dans les piscines augmente donc de 100 t par an environ.

Schéma entreposage équilibre La Hague
Situation à l'équilibre : 1200 t de combustible usé entrent dans les piscines de la Hague et 1100 t de combustible usé entreposé 7 ans plus tôt, en sort.

Les 100 t nettes de combustible usé qui s’ajoutent chaque année correspondent à environ 20 paniers d’entreposage. Les piscines de La Hague possèdent au total 2 830 emplacements pour ces paniers, dont 210 sont libres, et 200 libérables car contenant des déchets (et non du combustible) qui devraient être conditionnés d’ici à 2029.

Jusqu’en 2029, la libération progressive des 200 emplacements libérables devrait compenser à peu près la quantité de combustible usé qui s’ajoute dans l’intervalle. En 2029, les premiers réacteurs 900 MW consommant le combustible recyclé MOx pourraient être arrêtés, la consommation du MOx se réduirait donc. Pour éviter l’accumulation de plutonium séparé, il faudra réduire le rythme de retraitement du combustible usé, et donc moins de combustible usé sortira des piscines de La Hague. Selon le scénario dit SR1 de l’Andra, qui retient une durée de fonctionnement des réacteurs du parc actuel comprise entre cinquante et soixante ans, la quantité de combustible usé à entreposer, actuellement de 100 t/an (ou 20 emplacements) augmentera de 50 t par an et par réacteur MOxé arrêté (soit un besoin de 11 emplacements supplémentaires). Dans ce scénario, de nouvelles capacités d’entreposage sont donc nécessaires à l’horizon 2030.

Evolution occupation piscines
Évolution de l’occupation des piscines hors BK (source : EDF-Orano)

 

L’évolution de la quantité de combustible usé entreposé est fortement sensible aux variations de scénario :

  • un arrêt anticipé de réacteurs de 900 MW avancerait la date de saturation ;
  • l’utilisation de MOx dans d’autres réacteurs (1 300 MW existant ou nouveaux réacteurs) réduirait les besoins d’entreposages, mais seulement après 2030.

Dans tous les cas cependant, l’ajout de nouvelles capacités d’entreposage semble inévitable à l’horizon 2030.

Comparaison des différents types d’entreposage

Il existe principalement deux types d’entreposage, dont les mérites respectifs sont peu disputés, et qui peuvent chacun être mis en œuvre de deux manières différentes

L’entreposage en piscine sous eau est impératif pour les combustibles peu refroidis. Il permet de maintenir les gaines du combustible facilement observables, accessibles, et à une température plus basse favorable à leur tenue mécanique, l’eau étant un excellent conducteur thermique. La piscine offre par ailleurs une inertie importante en cas de perte du système de refroidissement et le combustible y est plus facilement accessible en cas de problème. En contrepartie, un refroidissement actif est nécessaire. Si ce refroidissement actif est interrompu de manière prolongée sans apport d’eau, les conséquences sur l’environnement et la sûreté peuvent être très importantes, avec des débits de dose élevés interdisant l’accès au voisinage de la piscine

L’entreposage à sec est réservé aux combustibles suffisamment refroidis, du moins avec les technologies actuelles. Un tel refroidissement est obtenu après quelques années pour les combustibles UNE et URE usés, et après quelques dizaines d’années pour les combustibles MOx. L’entreposage à sec a l’avantage de ne pas nécessiter de refroidissement actif et de bien se prêter à une construction modulaire. En revanche, comme le combustible est alors conditionné dans un conteneur étanche, il est plus difficile de contrôler la qualité des gaines et on a donc moins de garanties sur leur intégrité et leur tenue à long terme. En cas d’accident grave, si le flux d’air est par exemple obstrué, les conséquences graves restent limitées au conteneur de combustible concerné.

Malgré ces différences, le même niveau de sûreté en exploitation est atteignable par conception pour l’entrepo-sage à sec et l’entreposage sous eau.

Ces deux types d'entreposage, à sec ou en piscine, peuvent être mis en œuvre de deux manières différentes :

  1. sur site, avec un entreposage associé à chaque centrale ;
  2. de manière centralisée, avec un unique entreposage pour toute la France.

Pour EDF, l’entreposage centralisé permet de limiter le nombre d’installations nucléaires de longue durée à construire, exploiter et déconstruire, et par conséquent diminue la quantité de déchets de démantèlement produits. Il permet de gérer plus facilement la sûreté et la sécurité tout en facilitant la gestion des impacts environnementaux.

Pour FNE, l’entreposage sur site, s’il reste dans le périmètre de la centrale, possède l’avantage de ne pas demander la création d’un nouveau site nucléaire. Il permet aussi de limiter les transports de combustible usé dans le cas où il est maintenu dans le temps

La situation française

Avec les concepts d'entreposage à sec actuellement existants et maîtrisés, et en admettant que la stratégie de retraitement française soit maintenue, l'entreposage en piscine semble le plus adapté à la situation française.

En effet, les combustibles MOx usés actuellement produits restent chauds trop longtemps pour être transférés directement des piscines attenantes au réacteur à un entreposage à sec (qu’il soit sur site ou centralisé). Les combustibles MOx actuellement utilisés dans les réacteurs français ne pourraient être entreposés à sec, avec les concepts d’emballages actuellement disponibles, qu’après au moins trente ans de refroidissement en piscine.

Décroissance de la puissance thermique
Source : IRSN

 

L’utilisation d’un entreposage à sec pourrait éventuellement s’envisager avec de nouvelles technologies permet-tant d’élever la puissance thermique admissible par assemblage de combustible usé. Il pourrait aussi s’envisager en complément d’un entreposage en piscine, pour les combustibles MOx usés les plus anciens (qui ont eu le temps de refroidir, et datent d’une époque où le MOx était moins concentré en plutonium). Dans les deux cas, de nouvelles études seraient nécessaires pour en justifier la sûreté.

Q5 - L'adoption de seuils ou de nouvelles règles dérogatoires pour le recyclage, le stockage en site conventionnel ou la libération des matériaux très faiblement radioactifs issus des anciens sites nucléaires, comme l'ont fait d'autres pays d'Europe, présente-t-elle un risque sanitaire ?

Résumé -- Un seuil de libération[1] est un niveau de radioactivité au-dessous duquel un déchet nucléaire peut être libéré, c’est-à-dire considéré comme non radioactif, et recyclable dans l’industrie conventionnelle. Sur le plan théorique, un tel seuil peut être fixé suffisamment bas pour que l’utilisation des matériaux qui le respectent ne génère pas de risque sanitaire, quelle que soit cette utilisation. La difficulté et l’enjeu majeur sont de garantir en pratique que l’activité d’un déchet donné est bien au-dessous de ce seuil, avec les techniques de mesures actuelles. Une telle garantie pose des questions de mesure plus complexes pour les matériaux non homogènes que pour les métaux qui peuvent être homogénéisés par fusion.

Introduction

Aujourd’hui en France, un déchet produit dans une installation nucléaire est qualifié de radioactif en fonction de son lieu de production et non de sa radioactivité (principe de zonage). Ainsi, qu’il soit radioactif ou non, un déchet provenant d’une zone produisant potentiellement des déchets nucléaires doit être géré comme tel, et stocké dans un centre de l’Andra destiné aux déchets nucléaires. Dans le reste de l’Europe, la qualification d’un déchet se fait sur la base de sa radioactivité : au-dessous d’un certain seuil de radioactivité, un déchet n’est pas considéré comme radioactif et il peut alors être valorisé, recyclé, ou mis en stockage dans des installations conventionnelles.

Le zonage apporte d’excellentes garanties du point de vue de la radioprotection, tout en étant facile à implémenter, mais conduit en contrepartie à ce qu’une quantité importante de déchets dont la radioactivité est infime ou nulle (30 à 50 % des déchets de très faible activité selon l’Andra) soit stockée dans des centres spécialisés sans possibilité de recyclage ou valorisation hors de l’industrie nucléaire. Le Cires, le centre de stockage de déchets de très faible activité, sera saturé à l’horizon 2028 dans les conditions actuelles de stockage ou à l’horizon 2038 en optimisant la conception des alvéoles de stockage, et le démantèlement du parc nucléaire actuel va produire dans les années qui viennent des quantités impor-tantes de déchets TFA. Selon l’IRSN cité par FNE, la reconduction à l’identique des modes de gestion actuels n’est pas nécessairement la solution optimale et la diversification des solutions de gestion est souhaitable dès lors qu’elle permet la minimisation et un partage équitable des risques et nuisances de toute nature induits par les modes de gestion envisageables, et qu’elle favorise un usage de ressources mieux proportionné au risque réel que présentent les déchets.

Une alternative à la gestion des déchets TFA découlant d’une application stricte du zonage peut en principe prendre plusieurs formes. Il peut s’agir d’un seuil de libération, au-dessous duquel un déchet n’est plus considéré comme radioactif et peut ainsi être recyclé dans l’industrie conventionnelle, sans nécessité de garder une quelconque traçabilité. Il peut aussi s’agir d’une règle dérogatoire, permettant de stocker certains déchets très faiblement radioactifs dans des décharges conventionnelles présentant les mêmes garanties de confinement qu’un stockage de déchets nucléaires de très faible activité de l’Andra. Cette seconde option soulève naturellement moins de difficultés pour l’application d’un seuil. Il existe des solutions intermédiaires aux deux précédentes, notamment celle consistant à recycler les déchets dans le secteur nucléaire afin d’en garantir la traçabilité. C’est ce qui existe aujourd’hui en France, en particulier pour les métaux après fusion.La possibilité de garantir une traçabilité robuste constitue dans tous les cas un sujet de débat. Une telle traçabilité est naturellement plus difficile à garantir une fois que les déchets sont dans le circuit conventionnel.

La discussion des impacts sanitaires qui suit se concentre sur la première option, c’est-à-dire celle d’un seuil de libération au-dessous duquel une traçabilité ne serait plus demandée

Principes du raisonnement

Le point de départ pour décider d’un seuil de radioactivité au-dessous duquel un déchet serait potentiellement libérable est de regarder la dose de radioactivité à laquelle pourrait être exposé le public dans le pire des cas envisageables. L’idée est de fixer un niveau de dose protecteur (c’est-à-dire pour lequel les conséquences sont reconnues négligeables) et de calculer la quantité de radioactivité qui conduirait dans le pire des cas possibles à atteindre ce niveau. Ce niveau est par exemple fixé par la Commission européenne à 0,01mSv/an, valeur qui est à comparer à la dose liée à la radioactivité naturelle à laquelle est exposée la population française et qui est de 200 à 300 fois supérieure (2 à 3 mSv/an). L’impact de la radioactivité sur la santé n’est pas dépendant de son origine, artificielle ou naturelle.

Sources exposition
Dose de radioactivité moyenne reçue par an et par français en fonction de son origine (source : IRSN)

 

Partant de cette dose limite que l’on juge acceptable pour la santé, on remonte ensuite à une radioactivité limite pour le déchet. On regarde pour cela l’ensemble des circonstances envisageables de son utilisation. Par exemple, le matériau pourrait être fondu, puis réutilisé dans des objets de la vie courante et la population exposée par irradiation externe, inhalation, ingestion, etc. Prenant ensuite l’hypothèse la plus pessimiste d’exposition, on déduit une valeur seuil de radioactivité au-dessous de laquelle la libération du déchet n’aurait pas de conséquence pour la santé.

Ainsi, tant que ce seuil est respecté, et presque par définition, il n’y a pas de risque pour la santé. L’IRSN juge que sur le plan théorique cette démarche constitue une démonstration robuste et convaincante de la pertinence des valeurs de libération.

La difficulté pratique, qui constitue l’enjeu majeur de la libération, est dans la garantie que ce seuil de radioactivité admissible ne serait pas dépassé par un déchet donné

Comment mesurer la radioactivité d'un déchet ?

Pour garantir qu’un déchet est au-dessous d’un certain seuil de radioactivité, il faut pouvoir évaluer cette dernière précisément. Il faut pouvoir mesurer une radioactivité très faible sur de gros volumes de déchets. Typiquement, cela nécessite un échantillonnage, c’est-à-dire la mesure précise de la radioactivité sur un morceau extrait du déchet. Le déchet peut être inhomogène, contenant par exemple des parties plus radioactives que le reste, et une méthode d’échantillonnage inadaptée pourrait ne pas les identifier.

Déchet inhomogène
Exemple où l'échantillonnage naïf d'un déchet inhomogène caractériserait de manière incorrecte sa radioactivité totale, en ignorant des zones de radioactivité plus élevée.

 

Ainsi, c’est le choix des techniques de mesure et la stratégie d’échantillonnage qui sont en pratique cruciaux pour garantir l’absence de risque sanitaire. Pour qu’une libération soit possible en principe, il faudrait donc que le producteur soit capable d’effectuer la démonstration rigoureuse que l’activité de son déchet, en intégrant les incertitudes, soit bien au-dessous du seuil.

L'exemple du métal

Les déchets métalliques constituent un exemple où une telle démonstration paraît aujourd’hui envisageable. Le métal peut être fondu, la fusion permet d’obtenir un matériau homogène – et de ce fait plus facile à caractériser – et de récupérer l’essentiel de la radioactivité au sein des résidus de fusion. EDF réalise déjà ce type de recyclage des déchets métalliques de très faible activité dans sa filiale suédoise Cyclife, sous le contrôle de l’autorité de sûreté suédoise : la radioactivité du métal est contrôlée à 4 étapes du processus de fabrication et les lingots résultant sont libérés pour valorisation dans l’industrie classique. Le démantèlement de l’usine d’enrichissement Georges-Besse va générer 130 000 tonnes d’acier très faiblement contaminé qui pourraient techniquement être recyclées par Orano d’une manière analogue.

Déchet métallique
Exemple de déchet métallique, homogène après fonte et séparation, où il apparaît plus simple d'estimer la radioactivité moyenne de l'ensemble par échantillonnage.

 

[1] Dans ce qui suit, on parle d’un seuil de libération par souci de simplification. Dans les faits, plusieurs seuils sont fixés en fonction des radionucléides.

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