Compte rendu et bilan du débat sur le PNGMDR

Le 25 novembre 2019, la Commission nationale du débat public et la Commission particulière du débat public ont présenté le bilan et le compte rendu du débat public relatifs à la 5ème édition du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR).

Pendant cinq mois, ce débat a permis d’aller à la rencontre du public, souvent familier du thème du nucléaire, grâce à vingt-trois réunions à Paris et en région ainsi qu’à la mise en place d’outils numériques diversifiés, tel qu’une plateforme participative. Malgré la très grande sensibilité du sujet et son caractère très clivant, et même si parfois des perturbations se sont produites, les rencontres se sont déroulées le plus souvent dans un climat respectueux, propice à des échanges argumentés et contradictoires. Le débat a été dense et riche d’enseignements non seulement sur les enjeux relatifs aux questions techniques du plan (classification des substances radioactives en matières ou déchets, sort des déchets de très faible activité issus des opérations de démantèlement, capacités d’entreposage des combustibles usés, gestion des déchets ultimes ..) mais également sur des thèmes transversaux tels que les impacts sanitaires et environnementaux, la sureté et la sécurité des transports, les impacts territoriaux…

Au-delà de la persistance d’avis opposés et tranchés, notamment sur le recours à l’énergie nucléaire et le projet de stockage géologique profond Cigéo, les participants ont placé l’éthique à travers la question du leg aux générations futures, la gouvernance et la mobilisation citoyenne au cœur de leurs préoccupations.

Les droits de « vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et de « participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » ont trouvé une résonance très forte tant il est apparu qu’il existe un besoin de repenser le lien entre la société civile et ceux, acteurs institutionnels, économiques, associatifs ou experts qui sont impliqués dans la gestion des déchets et des matières radioactifs, et plus largement dans les choix de la politique énergétique française.

Il est indispensable que des réponses argumentées soient données par les responsables du plan aux questions évoquées dans le débat et qu’un dispositif continu d’association du public à l’élaboration des décisions à prendre soit mis en place de façon pérenne. L’évaluation et la révision décennale du dispositif de gestion des matières et déchets radioactifs et la concertation post-débat public, prévues par la loi, permettent l’adaptation des décisions à venir aux incertitudes de l’avenir, dans un cadre concerté.

Isabelle Harel-Dutirou, présidente de la commission particulière du débat public

Interventions de la présidente de la commission particulière du débat public lors de la présentation du bilan et du compte rendu du débat :
> Lire le discours d’ouverture
> Lire la conclusion

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Q7a : Depuis les derniers débats publics (2005 et 2013), y a-t-il eu des éléments techniques nouveaux relatifs à l'option d'entreposage pérenne en sub-surface des déchets à haute ou moyenne activité et vie longue ?

Q7b : Depuis les derniers débats publics (2005 et 2013), y a-t-il eu des éléments nouveaux relatifs aux recherches sur la séparation et la transmutation, de nature à influer sur les options de gestion des déchets à haute ou moyenne activité et vie longue ?

Résumé : En 2006, le stockage géologique a été choisi par le Parlement comme solution de référence pour la gestion des déchets de haute et moyenne activité à vie longue. L’entreposage de longue durée et la séparation-transmutation, qui constituaient jusqu’alors les deux volets d’une alternative au stockage, ont continué à être étudiés, mais principalement comme compléments à un stockage. Les arguments motivant la décision de 2006 n’étaient pas principalement liés à d’éventuelles difficultés techniques de l’entreposage. Les améliorations récentes obtenues grâce à la recherche sur ce sujet n’ont ainsi pas significativement changé la donne. Les fortes incertitudes liées à la séparation-transmutation avaient en revanche une place importante dans la décision de 2006. La recherche récente, malgré des progrès incontestables, a confirmé la difficulté d’une stratégie de transmutation lourde, et ce même avec un objectif plus modeste de réduction de l’emprise du stockage et non de substitution. Diverses solutions de transmutation, reposant sur de nouveaux types de réacteurs, continuent d’être explorées, mais sans perspective d’application industrielle à court ou moyen terme.

Entreposage de longue durée

Définition

L’entreposage est, par définition, une solution temporaire de gestion des déchets, par contraste avec le stockage qui est une solution définitive.

L’entreposage peut avoir deux objectifs différents :

  1. permettre d’attendre, pour une durée au moins approximativement connue, pendant le développement d’une autre solution de gestion identifiée
  2. permettre d’attendre, pour une durée indéterminée, pendant que de nouvelles solutions de gestion sont explorées par la recherche.

Aujourd’hui, les déchets radioactifs de moyenne et haute activité sont entreposés à sec en surface, principalement sur les sites de La Hague et Marcoule. Selon le scénario officiel, ces déchets ont vocation à être ensuite stockés de manière définitive en couche géologique profonde à Bure sur le site de Cigéo. Il s’agit donc, dans cette hypothèse, d’un entreposage du premier type.

Les partisans d’une alternative au stockage géologique profond, comme FNE ou Global Chance, s’intéressent à un entreposage qu’ils nomment « pérennisé », qui permettrait d’attendre une durée indéterminée pendant que des solutions alternatives de gestion, notamment la séparation-transmutation, seraient explorées. En pratique, un entreposage ne peut être envisagé que sur une durée finie, et les partisans de cette solution défendent en général une durée de trois cents ans, par contraste avec les entreposages actuels dont la durée de vie est typiquement de l’ordre de cent ans[1]. Enfin, par contraste avec un stockage géologique à 500 m de profondeur, ou avec un entreposage du premier type de plus courte durée en surface, ce type d’entreposage pourrait selon ses partisans se faire en sub-surface (c’est à dire à faible profondeur ou à flanc de colline).

Bilan des recherches avant 2005 

À la suite de la loi Bataille de 1991 et jusqu’en 2005, le CEA a exploré l’entreposage de longue durée comme solution de gestion des déchets radioactifs de moyenne et haute activité. En 2006, le Parlement a suivi l’avis de l’ASN en faisant du stockage géologique profond la solution dite de référence, reléguant ainsi l’entreposage au rôle de complément. L’objectif n’est pas ici de discuter de la pertinence de ce choix, mais de résumer l’état des connaissances acquises sur la faisabilité d’un entreposage de longue durée (sans comparer ses mérites à ceux d’un stockage).

Il existe a priori deux possibilités pour obtenir un entreposage de trois cents ans :

  1. Utiliser les concepts d’entreposage existant et facilement reproductibles, d’une durée de vie de cent ans, et les renouveler au moins 2 fois.
  2. Utiliser de nouveaux concepts dont on pourrait démontrer qu’ils sont capables de résister trois cents ans sans renouvellement.

Dans le premier cas, il n’y a naturellement pas de difficulté technique majeure. Dans le second, les conséquences à tirer des recherches du CEA de 1991 à 2005 sont plus débattues. Pour Orano, ces recherches démontrent que l’on saurait sur le plan technique construire de telles installations conçues dès le départ pour trois cents ans, sans renouvellement nécessaire. Pour l’Andra, qui s’appuie sur l’avis de 2006 de la commission nationale d’évaluation, une telle faisabilité n’est pas démontrée et un renouvellement périodique des installations resterait nécessaire.

Éléments nouveaux

Depuis 2005, la recherche sur l’entreposage a été transférée du CEA à l’Andra et réorientée vers l’amélioration des concepts d’entreposage de plus courte durée, en complément du stockage géologique profond. Entre 2007 et 2012 l’Andra a ainsi conduit des recherches visant à améliorer les concepts d’entreposage. Ces recherches ont eu notam-ment pour objectif l’augmentation de la puissance thermique admissible des colis de déchets, l’optimisation de la manutention, l’amélioration de l’articulation avec le transport, et une étude de moyens de surveillance du vieillissement. Pour ce type d’entreposage, il n’est pas ressorti des études de l’Andra un avantage déterminant de l’option en sub-surface par rapport à une option plus standard en surface ou semi-enterrée (partie basse de l’installation sous le niveau du sol).

En parallèle, Orano, qui gère aujourd’hui la majeure partie des entreposages de déchets de haute et moyenne activité français, a fait évoluer les concepts existant. Ces évolutions conduisent à disposer d’entreposages conçus pour un objectif de durée de vie qui est passé de soixante-quinze à cent ans.

Séparation / transmutation

Introduction

Les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue viennent principalement du combustible usé (éventuellement après traitement). Il s’agit principalement :

  1. Des produits de fission à vie courte et à vie longue. Les premiers dominent la radioactivité les premières dizaines d'années. D'une demi-vie moyenne d'environ 30 ans, il faut environ trois cents ans pour diviser leur radioactivité par 1000. Les seconds, peu radiotoxiques mais mobiles, ont une influence sur les rejets de long terme d’un stockage en fonctionnement normal ;
  2. Des actinides mineurs, principalement l'americium, le neptunium, et le curium. L'americium 241, d'une demi-vie de 500 ans, est le contributeur principal à la radiotoxicité pour les durées intermédiaires ;
  3. Du plutonium, qui est le contributeur principal à la radiotoxicité de plus long terme. Son isotope 239 a une demi-vie de 24 000 ans, et il faut attendre un minimum de 240 000 ans avant que sa radioactivité ne soit divisée par 1000.

L'objectif de la transmutation est de transformer ces éléments à vie plus ou moins longue en des éléments stables (non radioactifs) ou à durée de vie très courte. Il s'agit d'une solution a priori élégante au problème des déchets, et qui a pour cette raison motivé des efforts de recherche extrêmement importants, en France et à l’étranger.

La transmutation peut a priori concerner les trois types d'éléments précédemment mentionnés.

Le plutonium est celui que l’on considère en premier, car il est recyclable pour produire de l’énergie et domine la radiotoxicité à très long terme. Aujourd’hui en France, le plutonium est extrait des combustibles usés UOx, puis réutilisé en réacteur, ce qui en consomme une partie (environ 25 %, voir fiche 1a), c’est le monorecyclage. Une transmutation totale du plutonium, quelles qu’en soient les modalités (par exemple un multirecyclage intégral en réacteur à neutrons rapides, voir fiche 2), serait nécessaire si l’objectif était de se passer à terme d’un stockage. Quand la transmutation a pour objectif de se substituer au stockage, on discute en général la transmutation des autres éléments sous l’hypothèse que le cas du plutonium est réglé (qu’il est transmuté), et que les déchets de haute activité ne sont constitués que des produits de fission et actinides mineurs.

S’il n’est pas physiquement impossible de transmuter les produits de fission, les voies technologiques les plus avancées ne permettent que de transmuter des quantités infinitésimales. La durée de vie plus courte des produits de fission les plus radioactifs laisse cependant la possibilité d’attendre leur décroissance naturelle. La transmutation est ainsi considérée principalement pour les actinides mineurs, et le terme utilisé seul se réfère en général implicitement uniquement à ce type de radionucléides.

Aujourd’hui, actinides mineurs et produits de fission sont séparés du combustible usé et vitrifiés ensemble. Pour mettre en œuvre la transmutation des actinides mineurs, il faut une étape supplémentaire de séparation, avant la vitrification, permettant de les isoler. Une fois extraits, leur transmutation peut en principe s’effectuer par fission (comme pour le plutonium), dans différents types de réacteurs existant ou futurs.

Bilan des recherches avant 2005

Depuis 1991, la séparation-transmutation des actinides mineurs a fait l’objet de recherches importantes, notamment par le CEA, et dont on présente les leçons principales ici.

Différents concepts de séparation poussée ont été étudiés en laboratoire et fonctionnent. La possibilité de les industrialiser n’est en revanche pas acquise, et leur impact très négatif sur la complexification du cycle du combustible reste à évaluer.

Dans l’état actuel des connaissances les réacteurs à neutrons rapides (RNR) semblent les plus adaptés pour transmuter les actinides mineurs une fois séparés. Les réacteurs à eau légère actuels, s’ils peuvent consommer certains actinides, en produisent en parallèle d’autres qui sont trop pénalisants. De surcroît, le recyclage (partiel) du plutonium dans les réacteurs actuels produit lui-même une quantité plus importante d’actinides mineurs. Enfin, pour le CEA, les réacteurs pilotés par accélérateurs que l’on discute plus bas, qui sont une alternative en principe envisageable aux RNR, ont une maturité industrielle trop faible à ce stade.

Deux difficultés importantes s’opposent à une stratégie de séparation-transmutation de grande échelle. La première concerne les déchets déjà produits : dans l’état actuel des connaissances, il semble difficilement envisageable de récupérer les actinides contenus dans les déchets déjà vitrifiés. La seconde concerne l’inventaire de déchets en fin de vie du parc, qu’il semble difficile de résorber complètement.

Éléments nouveaux

Depuis 2005, en raison des difficultés précédemment mentionnées et du choix par le Parlement du stockage géolo-gique comme solution de référence, les ambitions de la transmutation se sont de fait réduites. La recherche s’est concentrée sur les capacités de la transmutation à servir de complément, et non de substitution, à un stockage géologique ou à servir de solution pour les déchets d’un parc futur. Dans ce contexte, de nouveaux éléments ont été obtenus, qui confirment la difficulté d’une stratégie de transmutation de grande échelle

En 2012, la transmutation du curium a été jugée trop dangereuse en comparaison des gains espérés. Les efforts se sont concentrés sur l’americium qui dégage une chaleur importante et dont l’élimination permettrait de réduire l’emprise d’un stockage. Pour ce dernier, le CEA a développé un nouveau procédé de séparation et proposé différentes méthodes de transmutation en réacteur à neutrons rapides.

Le CEA a étudié l’impact d’une introduction progressive de réacteurs à neutrons rapides dans le parc français actuellement constitué de réacteurs à eau légère. Il ressort de ces études que la transmutation des actinides mineurs ne pourrait être mise en œuvre de manière efficace qu’une fois les réacteurs à neutrons rapides devenus majoritaires.À la suite de ces recherches du CEA jusqu’en 2010, l’IRSN a émis en 2012 un avis[2] sur la transmutation. L’Institut y a conclu que les gains espérés de la transmutation des actinides mineurs n’étaient pas décisifs au vu des contraintes induites. Il a observé en particulier qu’une stratégie de transmutation impose de multiplier par un facteur de 5 à 10 la quantité d’actinides mineurs manipulée dans le cycle (même si leur quantité diminue dans les déchets), induisant des contraintes importantes de sûreté et de radioprotection. Par ailleurs, l’Institut a noté que si la transmutation des actinides mineurs permettrait de réduire l’emprise d’un stockage, elle ne réduirait que peu son impact radiologique : les actinides mineurs, tout comme le plutonium, ont certes une radiotoxicité à long terme plus importante que celle des produits de fission, mais une aptitude bien moindre à migrer dans l’argile, et ainsi se répandre dans l’environnement.

Possibilités à plus long terme

Il existe d’autres voies plus spéculatives que les RNR, qui pourraient être envisagées à un horizon plus long pour transmuter les actinides mineurs. Dans la plupart des cas, ces méthodes exploiteraient un réacteur à sels fondus dans lequel seraient placés les actinides en configuration sous-critique, c’est-à-dire sans risque d’emballement de la réaction de fission. La transmutation des actinides serait ensuite induite et entretenue grâce à une source de neutrons externe. Les propositions diffèrent sur la nature de cette source.

Il pourrait s’agir d’un accélérateur de particules linéaire de forte puissance. Proposée par le prix Nobel Carlo Rubia dans les années 1990, cette voie est notamment explorée en France par l’Institut de physique nucléaire d’Orsay. Le projet Myrrha a pour objectif d’en construire un démonstrateur en Belgique. La construction de l’accélérateur a débuté, et le réacteur lui-même devrait voir le jour en 2025.

Une autre source de neutrons pourrait être une fusion nucléaire deuterium-tritium auto-entretenue. De nouveaux éléments sur cette voie pourraient arriver à l’horizon 2035, lorsque le tokamak ITER permettra effectivement de maintenir une telle fusion.

Très récemment, diverses alternatives utilisant les lasers ont été discutées, notamment par le prix Nobel français Gérard Mourou. Les lasers peuvent être utilisés de deux manières : pour induire une fusion nucléaire deuterium-tritium, qui sert ensuite de source de neutrons pour un réacteur sous-critique, ou pour induire directement la transmutation d’un élément par photo-fission. Dans le premier cas, l’idée intéresse les chercheurs mais sa supériorité par rapport à un accélérateur linéaire n’est pas encore démontrée. Dans le second cas, les quantités transmutées restent aujourd’hui infinitésimales pour une consommation d’énergie élevée.

En l’état actuel des connaissances, il n’y a ainsi pas de solution de séparation-transmutation qui serait adaptée à tous les radionucléides à vie longue et industrialisable dans un futur proche. Ce point semble faire consensus. Le point qui reste ouvert, et auquel le présent exercice ne peut prétendre répondre, est de savoir comment la situation pourrait évoluer à un horizon plus long, de l’ordre de trois cents ans, correspondant à la durée proposée par certains pour un entreposage temporaire.

 

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[1] En pratique, la durée de vie des entreposages n’est pas déterminée au départ, et la décision de poursuivre leur exploitation est réévaluée tous les dix ans, la durée de cent ans est indicative.

[2] Avis IRSN n° 2012-00363 du 3 aout 2012 -- https://www.irsn.fr/FR/expertise/avis/2012/Pages/Avis-IRSN-2012-00363-PNGMRD.aspx
        voir aussi la fiche pédagogique https://www.irsn.fr/dechets/cigeo/Documents/Fiches-thematiques/IRSN_Debat-Public-Cigeo_Fiche-Transmutation.pdf

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